ARIS GEORGIOU, Captifs au louvre

ARIS GEORGIOU, Captifs au louvre / Eight photographs 14.09.1996.

Eight b/w photographs. (Bilingual, greek-french). Text: Eric Auzoux 16 pages, translation by Mina Pateraki, 29.7x21cm. Collector's publication in 10 copies. Camera Obscura, Thessaloniki, 2005.

Eric Auzoux
Aris et les captifs

Lorsque je lui ai montré les photocopies des quatre tirages, après une légère grimace, l’historien de l’art de la rue Agar s’est mis à feuilleter l’Evocation du vieux Paris tout en marmonnant: “il doit s’agir des quatre esclaves en bronze retirés de la Place des Victoires à la Révolution ; on a estimé que leurs chaînes juraient avec la liberté retrouvée. Ah! voilà, c’est un certain Desjardins, de son vrai nom Van de Bogaert qui en est l’auteur. Pourtant, c’est curieux, on ne mentionne pas leur dépôt au Louvre. Vous êtes sûr que votre ami ne les a pas photographiés à Sceaux parce qu’au château... “

Lorsque je suis entré dans la salle du Louvre consacrée à l’Ecole de Fontainebleau, j’ai eu l’intuition que j’allais les y trouver. Rien à voir avec ces intuitions esthétiques : je suis incapable de dater et d’attribuer des sculptures du XVIe au XVIIIe, mais je me pique d’identifier les dispositifs et éclairages à photogénie “georgienne”.

Ils sont bien là les quatre esclaves de Pierre Francqueville (et non de Desjardins-Van den Bogaert) ; ils ont bien été attachés à un emplacement parisien : le Pont-Neuf (et non la Place des Victoires). Assis dans le siège qui fait face à leur alignement, je lis le commentaire autorisé. Il indique que Pierre Francqueville, représentant du maniérisme international, affectionne la “forme serpentine”. Aris Georgiou, ce serait plutôt le nomadisme international et la géométrie classique. Faut-il alors psychanalyser sauvagement? C’est ce que je me demande en comparant les statues et les photos que j’ai sous les yeux? En douze ans d’échanges, je n’entrevois pas un recoin de l’existence que nous n’ayons fouillé ensemble à Salonique, Jérusalem, Madras ou son cher Paris. Jamais rien qui ait approché, même de très loin la question esthétique ou sexuelle de la captivité et des jeux auxquels elle peut donner lieu. Il les a tous décapités ne peut-on manquer de remarquer et, pour le moins, accepté le face à face avec les pubis, négligeant mollets et pieds aux postures variées, dans une sorte de banalisation anthropométrique. Anthony Blunt, l’historien de l’art aux élans homophiles déclarés, dans son Art et Architecture en France (1500-1700), ne les mentionne qu’en passant les esclaves qu’il juge inspirés d’ Adrian de Vries.

A mon étonnement sur ce choix parmi les milliers de possibles au Louvre, qu’il connaît comme sa poche, il me répond (sic) “totally inculte poor lonesome photographer in the Louvre, I discover the smoothness of the Renaissance statues”. Il m’aura fallu cette réplique sarcastique pour réaliser que ces quatre bustes n’avaient de sens que par opposition aux quatre corps dans leur décor. Quel que soit l’ordre chronologique des prises de vue, celles des têtes présentes, des postures individualisées, des solitudes passagères entourées d’ une lumière jaillissante précèdent celles, serrées, d’une bande de quatre reclus anonymes. Les unes ont trouvé au Louvre leur demeure, les autres y ont été faits prisonniers. Les uns ont été capturés par un photographe qui pourrait travailler pour la police des moeurs, les autres sont l’oeuvre d’Aris qui ne fixe que les instants de liberté.

Decembre 2000